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emmanuel macron - Page 7

  • Crise totale et Gilets jaunes...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Geoffroy, cueilli sur Polémia et consacré à l'incapacité d'Emmanuel Macron de sortir de la crise des Gilets jaunes. Ancien haut-fonctionnaire, Michel Geoffroy a récemment publié La Superclasse mondiale contre les peuples (Via Romana, 2018).

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    Crise totale. Macron en plein enfumage médiatique et lacrymogène

    Le malaise social et fiscal français révélé par le mouvement des Gilets Jaunes n’en finit pas. Cela fait bientôt 5 mois que les manifestations hebdomadaires se succèdent en France, du jamais vu dans notre pays. Et l’allocution fleuve d’Emmanuel Macron le 25 avril dernier n’a pas convaincu une majorité de Français si l’on en croit les sondages. Ni a fortiori les Gilets Jaunes.

    En réalité Emmanuel Macron n’arrive pas à éteindre la grogne sociale et fiscale. Pourquoi ?

    Parce que sa légitimité populaire est faible, ce qui l’empêche d’apporter la réponse politique qui convient.

    A peine au bout de deux ans de mandat, Emmanuel Macron est déjà dans une impasse.

    Le fruit d’une effraction politique

    Emmanuel Macron peut certes s’appuyer sur les solides institutions de la 5e République, sur les escadrons de CRS et sur le soutien sans faille du pouvoir médiatique pour la suite de son quinquennat. Il peut également transformer l’Elysée en camp retranché.

    Mais il ne saurait oublier pour autant que, dans la logique de nos institutions, la légitimité populaire doit en permanence soutenir la légalité politique. Or c’est justement la légitimité populaire qui fait défaut à Emmanuel Macron.

    L’intéressé l’a reconnu avec honnêteté, sinon avec cynisme : son succès à la présidentielle a correspondu à une sorte « d’effraction [1]» politique. Homme de gauche rallié au néo-capitalisme, il a profité en effet à la fois de l’effondrement des socialistes tout au long de la présidence de François Hollande et de l’échec de François Fillon, empêtré dans une affaire judiciaire et médiatique mise à jour en 2017. Comme il a profité de son duel au second tour, face à Marine Le Pen.

    Mais ce blitzkrieg politico-médiatique a justement une contrepartie politique: Emmanuel Macron n’incarne aucune dynamique politique durable dans notre pays et, en tout cas, aucune dynamique populaire.

    Un vice rédhibitoire sous la Vème République.

    Une faible légitimité populaire

    Au premier tour de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron n’a en effet rassemblé que 24 % des voix, soit 8,6 millions d’électeurs. C’est-à-dire moins que François Hollande en 2012 [2] ou que Nicolas Sarkozy en 2007 [3].

    Il n’a fait un meilleur score que par rapport à celui de Jacques Chirac en 2002, alors que ce dernier était en perte de vitesse dans son électorat et que Jean-Marie Le Pen allait se positionner pour le second tour en éliminant le candidat socialiste.[4] Et, au second tour des présidentielles de 2017, Emmanuel Macron a rassemblé sous son nom et comme ses deux derniers prédécesseurs, moins de la moitié des électeurs inscrits [5] : 43,5 %. Un précédent fâcheux…

    La situation est encore plus criante s’agissant du « parti » présidentiel, La République en Marche, créé de toute pièce à partir d’éléments disparates [6] : au premier tour des législatives de 2017, qui a connu une abstention record [7], LREM a rassemblé 6,4 millions de voix soit 13,4 % des inscrits et au second tour : 7,8 millions de voix soit 16,5 % des inscrits. En d’autres termes, la « majorité » à l’Assemblée Nationale représente une… minorité d’électeurs inscrits.

    Chirac pouvait capitaliser sur une certaine image du gaullisme. Nicolas Sarkozy avait su séduire la droite par un discours innovant.François Hollande incarnait encore les espoirs de la Gauche en 2012.

    Mais Emmanuel Macron et son parti sont minoritaires dans l’opinion. Pire, ils n’incarnent au surplus rien d’enraciné dans la psyché nationale.

    Une situation incompatible avec le fonctionnement normal de nos institutions

    Cette situation n’est pas purement statistique mais traduit surtout une réalité politique incompatible avec l’esprit et le fonctionnement normal de nos institutions. Emmanuel Macron ne peut compter que sur le soutien d’environ un électeur sur trois au mieux. Il est, au sens propre, un président impopulaire et cela depuis son élection.

    Il est d’ailleurs frappant de constater que dans les sondages d’opinion [8],  on retrouve cette proportion presque constamment : en général deux personnes interrogées sur trois expriment un jugement négatif sur la politique voire la personne même du président de la république. Et cette proportion ne change pas dans le temps, sinon dans le mauvais sens.

    En d’autres termes, Emmanuel Macron n’a pas réussi à créer une dynamique politique en sa faveur au bout de deux ans de présidence et cela, malgré une propagande médiatique incessante.

    Comme il l’avouait d’ailleurs lors de son interview le 14 novembre 2018 : « Je n’ai pas vraiment réussi à réconcilier le peuple Français avec ses dirigeants (politiques). » Il ne pouvait ignorer que ce constat le visait au premier chef .

    Le mouvement des Gilets Jaunes a en effet mis en lumière qu’une partie de la population avait désormais une véritable hargne sinon une haine vis-à-vis de sa personne. Il faut remonter à la guerre d’Algérie pour trouver un sentiment comparable vis-à-vis d’un président de la république…

    L’impopularité interdit toute sortie politique de la crise

    Conformément à la fois à l’esprit et à la pratique des institutions de la 5e république, la crise des Gilets Jaunes aurait dû se conclure par l’arbitrage du peuple souverain : soit par de nouvelles élections législatives soit par un référendum.

    C’est d’ailleurs ainsi que le Général De Gaulle – qui bénéficiait pourtant d’une toute autre légitimité politique et historique qu’Emmanuel Macron – a mis fin à la crise de mai 1968 : une dissolution de l’assemblée nationale, suivie d’un référendum l’année suivante, le 27 avril 1969, et qu’il a d’ailleurs perdu, entraînant sa démission.

    Mais, minoritaire dans l’opinion depuis 2017, Emmanuel Macron ne peut se résoudre à cette solution politique pourtant évidente, car il est plus que probable qu’un référendum initié par lui serait un échec ou que LREM serait laminée dans le cadre de nouvelles élections législatives. Le président de la république perdrait alors fatalement tout moyen d’action.

    Écartant cette solution politique, Emmanuel Macron a donc misé sur l’usure de la contestation sociale, grâce notamment à la répression policière des manifestations et à l’orchestration des violences de l‘extrême-gauche pour mobiliser en sa faveur le « parti de l’ordre ».

    Mais cette stratégie ne produit toujours pas l’effet escompté.

    L’heure de la politique circulaire

    Le président de la république se trouve donc contraint de mener une « politique circulaire », consistant à tourner autour de la solution politique de la crise sans jamais oser l’aborder de front.

    Grand Débat qui n’en finissait pas, allocutions et conférences de presse somnifères, annonces alambiquées, enfumage médiatique sur fond de gaz lacrymogènes…
    Alors qu’il est bientôt à mi-mandat, le président en est désormais réduit à essayer de gagner du temps. Comme un banal président du conseil de la 4e république finissante.

    Mais la politique circulaire signifie d’abord que la crise initiée il y a un an par l’affaire Benalla et ensuite par le mouvement des Gilets Jaunes, ne peut recevoir de solution politique institutionnelle normale. Telle une plaie ouverte mal soignée, elle ne peut donc que s’envenimer. D’autant que l’extrême-gauche a fait une OPA sur les Gilets Jaunes.

    Cela signifie malheureusement que, privée de la régulation apportée par la souveraineté populaire, la nature autoritaire de nos institutions – caractérisées par un exécutif hypertrophié – ne peut que se renforcer. Et susciter des réactions populaires imprévisibles.

    La suite du quinquennat d’Emmanuel Macron s’annonce bien mal.

    Michel Geoffroy (Polémia, 02 mai 2019)

     

    Notes

    [1] Devant l’association de la presse présidentielle, en février 2018 , il s’est présenté comme le « fruit d’une forme de brutalité de l’histoire, d’une effraction, parce que la France était malheureuse et inquiète. »  Valeurs Actuelles du 14 février 2018

    [2] 28,3% soit 10,2 millions de voix

    [3] 31,18% soit 11,4 millions de voix

    [4] 19,88% soit 5,66 millions de voix pour Jacques Chirac

    [5] 20,7 millions de voix pour Emmanuel Macron , pour 47,56 millions d’électeurs inscrits

    [6]la moitié des élus LREM viennent de la gauche, 23%  viennent de la droite et  9% sont des novices.

    [7] 57,36% d’abstention et 4,2% de bulletins blancs ou nuls !

    [8] Voir « les Français ont la parole »sur Polemia

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  • L'arnaque du grand débat...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Frédéric Dufoing, cueilli sur L'Inactuelle et consacré au Grand débat initié par Emmanuel Macron et à sa conclusion. Philosophe et politologue de formation, chroniqueur, Frédéric Dufoing a notamment publié L'écologie radicale (Infolio, 2012).

     

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    Frédéric Dufoing: “L’arnaque du grand débat”

    Le grand débat organisé par le président Macron constitue d’ores et déjà un cas d’école de ce déni de démocratie qu’on appelle « démocratie participative ». D’abord parce que ce fut l’exécutif, et non la population ou même le parlement, qui jugea de l’opportunité de cette consultation ainsi que de sa date de lancement, de sa durée et de ses modalités concrètes, en l’occurrence l’envoi de cahiers de doléances par le biais des communes et les réponses à un questionnaire en ligne sur l’Internet.

    Une stratégie de l’attente.

    Macron a lancé le processus au moment où la contestation du pouvoir était devenue régulière et que les revendications des manifestants bénéficiaient d’un soutien très large de la population. L’initiative gouvernementale a permis de faire croire que le pouvoir était à l’écoute alors qu’il s’était montré aussi brutal dans sa réaction policière qu’intransigeant dans ses réponses politiques. Cette consultation a permis aussi de gagner du temps en justifiant l’attentisme politique par le respect des résultats, laissant ainsi pourrir la situation et testant l’obstination des manifestants.

    Le « grand débat » a fait rentrer les aspirations populaires dans un cadre ordonné, conforme, présentable ; il a donné à la parole supervisée par l’Etat une légitimité supérieure à la parole libre de la rue et offert un canal d’expression à l’électorat de base du pouvoir, trop bourgeois pour se manifester physiquement, ainsi qu’aux notables communaux. Grâce à cette longue série de consultations, les médias allaient avoir un autre os à ronger, et des revendications nouvelles allaient enfin émerger d’ailleurs que des ronds-points.

    Un débat tronqué.

    Le gouvernement n’a bien entendu établi aucun critère préalable afin de juger si la participation au grand débat était suffisante pour en valider la portée. Si elle n’avait pas été suffisante, le gouvernement aurait argué que le peuple n’éprouvait pas le désir de s’impliquer et de débattre, et donc que l’une des principales revendications des gilets jaunes – le référendum d’initiative citoyenne – n’était pas viable. Si la participation avait été bonne, au contraire, le gouvernement pouvait s’en attribuer le succès. Les chiffres de participation, 1.500.000 personnes, furent artificiellement gonflés de 300.000 [1] : cela restait peu, mais c’était toujours davantage que le nombre de manifestants dans les rues – et beaucoup moins tout de même que leur soutien dans les sondages.

    Les médias n’hésitèrent pas à répéter en boucle que cette consultation visait à établir l’« opinion des Français », alors qu’ils rechignaient dans le même temps à admettre que les gilets jaunes « représentaient le peuple ». Tous oubliaient au passage qu’il est infiniment plus facile d’envoyer des réponses depuis un ordinateur que de s’assembler sous la pluie, autour d’un brasero, ou en manifestant sous les gaz et les flashballs. En définitive, les « révoltés » qui ont participé au grand débat font un peu penser aux travailleurs prêts à accepter n’importe quel boulot précaire en remerciant bien bas le patron pour sa mansuétude.

    Les résultats ont donné lieu à une grand-messe médiatique, sans tenir compte du fait qu’on n’avait même pas attendu la fin des dépouillements ! A l’heure où le premier ministre annonça avoir tiré les leçons de la consultation, à peine plus de 50% des interventions avaient été dépouillées [2]. Or, là où l’on peut se permettre de tirer des conclusions électorales quand un certain nombre de circonscriptions donnent des tendances, il n’en va évidemment pas de même lors du bilan d’une consultation, qui implique une prise en compte qualitative et exhaustive des attentes plutôt qu’un simple aperçu quantitatif et statistique. En outre, quelle valeur accorder à un débat dont les questions furent choisies à l’avance par le pouvoir ? Il s’agissait bel et bien d’orienter les réponses, en enfermant les répondants dans de faux dilemmes, par exemple à travers la question sur la baisse des dépenses publiques.

    Macron le sophiste.

    Le bilan définitif fut tiré lors d’un interminable monologue du chef de l’Etat, écouté avec une attention religieuse par les journalistes dûment sélectionnés de l’assistance, qui ont ensuite servilement ânonné le sermon. Macron n’a répondu à aucune des demandes, pourtant peu audacieuses, collectées lors la consultation ; ou, plutôt, il y a répondu par des ellipses et des paraboles : le judoka habile sait éviter les coups et se servir du mouvement de son adversaire pour lui faire une clef de bras.

    Les citoyens voulaient proposer et décider eux même des lois ? On leur a offert la possibilité de les soumettre à d’autres qui en débattraient et prendraient les décisions à leur place. Ils auront droit aussi à davantage de proportionnalité lors des élections, mais doublée d’une réduction du nombre de représentants ! Les citoyens voulaient de la justice fiscale, c’est-à-dire une plus grande équité ? On leur a livré une vague réduction de l’impôt sur le revenu (quelle réduction, avec quelle assiette, sur la base de quels revenus ?), mais pas de retour à l’impôt sur les grandes fortunes et la finance. Plus encore, les salariés financeront leur baisse d’impôt avec une augmentation du temps de travail ! Et les pensions ? Elles seront réindexées, sans qu’on sache avec quel indice d’indexation : le prix du pétrole, qui monte, ou celui des textiles, qui s’écroule ?

    Les citoyens se plaignaient des connivences sociales et du centralisme parisien ? On leur a donné la suppression de l’ENA (la belle affaire !), et de plus grandes « responsabilités » pour les entités locales, notamment financières, alors que ces prérogatives impliquent en fait une plus grande tutelle de l’Etat central ! En somme, le chef de l’Etat a fait de la sophistique, finissant même par justifier sa politique par les reproches qui lui avaient été faits…

    Eh bien, c’est cela, la démocratie participative : des bavardages servant les intérêts de ceux qui les organisent. La réflexion populaire ne s’y manifeste pas vraiment, et les citoyens n’ont pas de décision à prendre. Leur parole, déjà corsetée, biaisée, sert de matériau bien formaté pour le pouvoir, qui en tire les interprétations les plus aberrantes. Si l’enfer est pavé de bonnes intentions, la démocratie participative en est le marbre.

    Frédéric Dufoing (L'Inactuelle, 29 avril 2019)

     

     

    [1] https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/gilets-jaunes/nombre-de-participants-gonfle-approximations-analyse-partielle-les-petits-arrangements-du-grand-debat_3312165.html

    [2] https://www.nouvelobs.com/politique/20190412.OBS11475/grand-debat-la-moitie-des-contributions-n-ont-pas-ete-prises-en-compte.html

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  • Vers une Notre-Dame recyclable et inclusive ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Olivier Babeau, cueillie sur Figaro Vox et consacré à la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame, à la suite des déclarations d'Emmanuel Macron indiquant sa volonté de la faire rebâtir "plus belle ", "en cinq ans", et avec une flèche "adaptée aux enjeux de notre époque", selon son Premier ministre... Olivier Babeau est professeur d'université.

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     Olivier Babeau: «Pitié, ne nous faites pas une Notre-Dame recyclable et inclusive!»

    On pensait qu’avec la fin de l’incendie, le pire était passé. Il semblerait que de plus grands périls menacent la cathédrale. Le futur chantier s’est transformé en quelques jours en un champ de bataille. C’est plus qu’une version nouvelle de la querelle des Anciens et des Modernes qui fait désormais rage. C’est la mémoire de la France elle-même que certains voudraient, de façon explicite, enterrer. C’est l’Histoire de notre pays qui s’apprête à être réécrite, sous couvert d’innocentes mises au goût du jour.

    Faut-il restaurer la cathédrale du XIIIe siècle, auquel cas il faudrait aussi repeindre les statues et les façades de couleurs vives comme à l’époque, ou bien respecter Viollet-le-Duc? Le débat sur ce que peut signifier l’authenticité d’un monument maintes fois remanié est loin d’être clos. Pour l’heure, c’est à notre sens une autre question qui se pose, beaucoup plus fondamentale. Les déclarations étranges se multiplient: Édouard Philippe annonce l’organisation d’un concours pour concevoir une nouvelle flèche «adaptée aux enjeux de notre époque». D’autres proposent de remplacer l’ennuyeuse toiture providentiellement partie en fumée par une magnifique serre qui serait un «espace laïc transparent». «Sans abattage d’arbre» est-il précisé. D’autres enfin, comme le site RollingStone, remarquent que le monument était un symbole très lourd d’une «Europe chrétienne idéalisée qui n’a jamais existé» (sic). Un architecte de l’université d’Harvard, Patricio del Real, aurait déclaré: «le bâtiment était si chargé de significations que son incendie semble un acte de libération». Et Rolling Stone d’enfoncer le clou: «toute reconstruction doit être une réflexion non sur la vieille France, ou sur la France qui n’a jamais existé — la France non-laïque blanche — mais sur la France d’aujourd’hui, une France qui est en train de se faire». L’idée de reconstruire à l’identique serait «naïve», le futur bâtiment devant être une expression de «ce que nous sommes aujourd’hui».

    A-t-il été «naïf» de reconstruire l’opéra de la Fenice ou le parlement de Bretagne à l’identique? Attend-on des Grecs qui relèvent le Parthénon un geste architectural pour mettre Phidias au goût du jour? Ajoutera-t-on à la Joconde une marque des «enjeux de notre époque» lors de sa prochaine restauration? En quoi au juste serait-il nécessaire qu’un bâtiment historique rénové soit plus remanié que ne l’est un tableau ancien?

    Notre-Dame court le risque d’être confisquée par notre siècle. La rénovation servant de prétexte de bon aloi pourrait bien n’être que le faux-nez d’une volonté plus pernicieuse de profiter des travaux pour stériliser ce symbole gênant d’une époque que l’on veut oublier. Certains y voient clairement l’occasion rêvée de faire progresser leur agenda révolutionnaire, en transformant le témoin d’un passé haï en une célébration de l’ordre nouveau. Le débat autour du chantier de Notre-Dame est révélateur des fondamentalismes sur lesquels est bâtie notre modernité.

    Le culte de la terre-mère, d’abord, voudrait interdire le «sacrifice» d’arbres pour rebâtir, ignorant la possibilité d’une gestion raisonnée des forêts. L’être humain étant considéré comme un parasite à la surface du globe, tout monument est en soi une provocation qu’il convient d’expier. Les totems écologiques que sont les éoliennes ne suffisant plus car leur effrayant bilan réel commence à être connu, d’autres gestes ostensibles de soumission seront réclamés. Quoi de plus visible que le toit de Notre-Dame? Il lui sera demandé demain, au minimum, d’être à énergie positive et recyclable.

    La seconde obsession contemporaine qui s’exprime dans certaines prises de position est la célébration permanente du progressisme, présenté comme l’aboutissement heureux de l’histoire morale après des millénaires d’errements. L’incendie de Notre-Dame est ainsi transformé en une sorte de nouveau bûcher des vanités. Les Savonarole modernes nous crient de renier nos anciennes passions, d’oublier ces absurdes ferveurs qui ont conduit des gens vivant il y a huit siècles à édifier ces vaisseaux de pierre désormais passés de mode. En réalité il ne s’agit pas d’un combat des chrétiens contre les autres religions, des croyants contre les non-croyants, mais d’une l’opposition entre ceux qui reconnaissent l’importance (et l’existence!) de nos racines, et les apôtres de la nouvelle foi égalitaire. Selon cette dernière, l’ordre ancien doit faire l’objet d’une damnatio memoriae méthodique afin d’y substituer le visage riant d’une modernité inclusive, solidaire, durable et festive.

    Pitié pour Notre-Dame! La faire vivre avec son temps serait la rendre intempestive. Ne lui faisons pas porter d’autre message que celui que ses bâtisseurs ont voulu transmettre. Respectons le témoignage de ferveur et de courage qu’ils nous envoient à travers les âges et laissons notre époque à la porte de la cathédrale. N’exigeons pas d’un tel monument qu’il rentre dans notre siècle, précisément parce que c’est en restant intemporel que sa portée restera universelle.

    Olivier Babeau (Figaro Vox, 18 avril 2019)

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  • Le progrès, une idéologie d’avenir ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son blog et consacré à l'idéologie du progrès, qui se trouve au cœur de la doctrine politique d'Emmanuel Macron. Économiste de formation, vice-président de Géopragma, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Candidat aux élections européennes sur la liste du Rassemblement national, il a publié récemment un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

     

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    Le progrès, une idéologie d’avenir ?

    Enrôler le progrès à son usage unique ; c’est la grande idée politique d’Emmanuel Macron. Le combat entre progressistes et conservateurs remplacerait le débat entre droite et gauche.Vieillie, dépassée, la confrontation entre socialistes et libéraux ferait place à une confrontation entre l’avenir et le passé, ceux qui avancent et ceux qui bloquent, la lumière et la nuit. On croirait entendre Jack Lang en 1981… Le simplisme a une force politique. L’avenir, qui est contre ?

    La pertinence de l’opération pose pourtant question. Car tout se complique dès qu’il s’agit de définir le progrès dont l’avenir doit être porteur, cette valeur supposée positive, à laquelle s’oppose le conservatisme, si aisément jugé négatif. Sauf qu’il n’est pas certain que le progrès, celui que désignent les progressistes, soit exactement le futur ; de même qu’il n’est pas certain que la volonté de conserver, attribuée aux opposants, s’enlise dans le passé. Et si c’était le contraire ? Et si « je maintiendrai » était la formule révolutionnaire du futur ?

    La belle route du progrès

    L’avenir tel que La République en Marche veut y conduire la France a été écrit en 1990. Libre échange, entreprises mondiales, sociétés multiculturelles, règne du droit et uniformisation du monde sur le modèle américain. La chute de l’empire soviétique promettait l’union planétaire, la démocratie mondiale, et le libéralisme devenait la seule politique possible. C’était la fin de l’histoire, qui s’en souvient ?

    Le libre-échange allait bénéficier à tous ; d’ailleurs, aucun économiste ne peut être protectionniste, affirmaient doctement des experts payés pour leurs discours par les banques et les fonds d’investissement. Les multinationales avaient carte blanche ; délocaliser, c’était l’avenir ! Les leçons du XXe siècle étaient tirées ; le nationalisme c’est la guerre, et la Nation, dans ses frontières, était une forme politique dépassée. Le sort des peuples européens se confondait avec l’intégration de l’Europe. L’euro devait donner à l’Europe sa forme fédérale, appelée à attirer toutes les Nations.

    La société multiculturelle était l’avenir ; elle abolit les frontières ; elle ne connaît la diversité qu’individuelle, et elle nous promet la paix et l’amitié entre tous les hommes unis par le commerce. Ils ne formeront plus des peuples, mais une humanité dans laquelle tous font valoir les mêmes droits, partagent les mêmes désirs, bref, deviennent les mêmes. La croissance allait sauver le monde ; la Chine marchait vers la démocratie à mesure que le bol de riz se remplissait. Le droit et le marché en avaient fini avec la politique ; la puissance, la souveraineté, la Nation, autant de vestiges à mettre au grenier. Ajoutons que le monde est à nous, que nous nous levons chaque matin pour tout changer, que tous les milliardaires du monde n’aspirent qu’à construire un monde meilleur, et que la liberté oublieuse du passé assure que chacune, que chacun se construise lui-même un avenir radieux.

    C’étaient les années 90. Un autre monde. C’est toujours la rengaine du progrès telle que l’entonnent celles et ceux qui n’ont rien vu, rien appris, rien compris depuis plus de vingt ans. Et c’est ce que des dirigeants européens autistes, un Président français vieilli avant l’âge, veulent continuer à nous faire croire comme progrès. Ce que la République en Marche veut faire croire à la France. Et pourtant…

    L’avenir a changé de route. La zone euro est en panne ; non seulement l’Europe recule par rapport à tous les autres continents, mais en Europe, les pays de la zone euro sont derrière les pays qui ont gardé leur monnaie nationale, à commencer par la Grande-Bretagne. Le commerce international est en recul, depuis que les coûts du transport ont cessé de baisser, depuis que les entreprises redécouvrent que l’éloignement est un facteur de risque.

    La part des multinationales dans l’activité mondiale baisse, pour la première fois depuis les années 1980. La dénonciation des pratiques commerciales déloyales est au cœur de tous les débats internationaux, et la hausse des tarifs douaniers, le resserrement des normes et des contrôles, est partout la réponse à des situations où la concurrence est inégale. Plus personne n’oserait dire que « le doux commerce » est la voie de la paix ! Il n’y a pas de marché quand les systèmes de valeurs, les priorités, diffèrent.

    Analysant la perspective de voir les États-Unis couper Huawei de ses fournisseurs occidentaux ou taiwanais, même le très libéral The Economist reconnaît que « la technologie ne peut rien contre la politique » ! Dans les cercles internationaux, et même à Davos 2019, le constat s’impose ; la mondialisation a fait quelques milliers de milliardaires, elle a sorti de la pauvreté 1,2 milliard d’Asiatiques, elle a surtout détruit des classes moyennes occidentales qui devaient l’essentiel de leur pouvoir d’achat, non à leur performance individuelle, mais à la solidité du cadre national et des systèmes sociaux en vigueur, des politiques salariales aux mutualisations internes. Et l’individualisme progresse sur fond de désespoir, avec un Japon, une Allemagne, une Corée du Sud, qui découvrent que l’isolement est la première maladie moderne, et que la réussite économique ne donne pas l’envie de vivre.

    Le nouveau signe du progrès

    Le progrès aujourd’hui n’est pas ce qu’il était en 1990. Les Français l’ont bien compris. Le progrès s’appelle circuits courts, il s’appelle relocaliser, se fournir à proximité, savoir qui produit quoi, et comment. L’avenir est fait d’héritages à conserver et à transmettre, plus beaux, plus riches, plus vivants. Le progrès s’appelle lutter contre l’esclavage et le trafic d’êtres humains qui sont le vrai nom de l’immigration. Le progrès s’appelle frontière, pour ceux qui veulent choisir leurs lois, leurs voisins, et leur destin. Le progrès s’appelle renouer avec l’histoire pour se projeter sans se perdre, il signifie préférer le citoyen à l’individu, parce que lui seul rend possible l’action collective, et que citoyenneté rime avec liberté. Et le progrès s’appelle retour au territoire, retour à la famille, aux liens et aux siens, parce que nul ne survivra seul à l’effondrement de nos sociétés et de la vie.

    L’avenir a changé de sens, et le progrès est l’inverse de ce qu’une politique française entêtée, aveugle et autiste, fait subir aux Français. Partout, l’État Nation est la forme politique de la modernité, et partout, les États Nations cherchent à affirmer leur unité interne, pour mieux faire face aux défis extérieurs qui se multiplient. Partout, la frontière retrouve sa fonction vitale ; faire le tri entre ce qui vient de l’extérieur, qui est utile, choisi, et qui entre, et ce qui est dangereux, toxique, et qui reste à l’extérieur. Partout, l’unité nationale est une priorité.

    Partout aussi, l’État est appelé à redécouvrir son rôle ; protéger, promouvoir, préférer les citoyens. Même Henry Kissinger (Le Débat, nov-déc. 2018) appelle les États à prendre le contrôle d’Internet ! Même Davos sent vaciller ses certitudes mondialistes et témoigne du malaise dans ce qui reste du monde global ! Partout, sous des formes et des contours divers, le besoin de dire « nous » l’emporte sur le « je » de l’isolement et de la détresse. Et partout, être respecté, être associé, être représenté, devient plus important que les bénéfices économiques promis par des experts méprisants, distants et absents.

    Quand le progressisme se confond avec le bougisme — changer tout, tout le temps et pour rien — le progrès s’appelle demeurer. Quand le progressisme signifie sacrifier au court terme un patrimoine, des infrastructures, des traditions, le progrès s’appelle maintenir. Quand le progressisme s’attaque aux mœurs, aux institutions, aux familles, aux corps et à la vie, le progrès s’appelle préserver. Parlez-en à ceux de l’Est européen, ils savent que conserver, maintenir, défendre et préserver peut être la promesse qui fait se tenir debout et qui ouvre toutes grandes les portes de l’avenir !

    Et voilà que la confusion se dissipe. N’en déplaise à Mme Nathalie Loiseau, il n’y a pas et il n’y aura pas de souveraineté européenne parce que la souveraineté est l’apanage des peuples, et qu’il n’y a pas, il n’y aura pas de peuple européen. N’en déplaise à Emmanuel Macron, le libre échange est en recul, comme le commerce mondial, parce qu’ils sont à l’origine de la plus formidable régression sociale que l’Europe ait connue. N’en déplaise à des socialistes qui ont trahi le peuple, les frontières sont de retour parce que leur ouverture détruit les acquis sociaux, le droit du travail et les solidarités nationales plus vite que n’importe quel autocrate illibéral.

    N’en déplaise aux européistes de la fuite en avant fédérale, comme aux nostalgiques d’une grande Europe aux ordres du Reich, l’État Nation est la forme politique de la modernité, et les rêves du multilatéralisme, du post-national et de la démocratie mondiale ont fini dans les poubelles de l’histoire. Qu’elles y restent ! Et n’en déplaise aux donneurs de leçons, le dépassement des Droits de l’individu est en cours, des Droits qui n’ont de réalité que quand les citoyens dans une société organisée et grâce à un Etat fort, décident de les honorer.

    Voilà notre situation historique. Un nouvel obscurantisme nous rend prisonniers. Il s’appelle globalisme, multiculturalisme, individualisme. L’idéologie qu’il constitue est rétrograde, elle répète des refrains qui ont trente ans d’âge, et elle nous bouche l’avenir. Nous devons allumer d’autres Lumières pour faire reculer l’obscurité, et nous libérer des mensonges officiels comme des inquisiteurs qui appellent « fake news » ce qui révèle les mensonges de l’oligarchie au pouvoir. Nous devons suivre l’enseignement de Spinoza, de Kant, et nous libérer de la religion laïque de l’économie, qui a remplacé les religions divines sans rien tenir de leurs promesses ! L’avenir s’appelle Nation, s’appelle citoyen, s’appelle frontières. Le changement s’appelle sécurité, autorité, et stabilité. Et le progrès s’appelle demeurer Français, bien chez nous, bien sûr notre territoire, bien dans nos frontières, pour être à l’aise dans le monde.

    Il est grand temps que la France se réveille du sommeil de plomb dans lequel le socialisme l’a plongé. Il est plus urgent encore que La République En Marche cesse de mettre la France à reculons, de vendre pour changement une rengaine que personne n’écoute plus, et de nommer progrès ce qui a provoqué un recul français manifeste, douloureux, et continuel depuis trente ans. Nous qui défendons la Nation représentons le progrès, le vrai, celui qui est partagé par tous. Nous représentons les libertés publiques, et la première d’entre elles ; la liberté de choisir qui est Français. Nous voulons que la France reprenne sa place dans le monde ; nous allons faire rentrer la France dans l’histoire ; nous allons rendre à la France son avenir, un avenir choisi, pas celui qu’on nous impose, un avenir voulu, pas celui des gérants de fonds, un avenir qui en finisse avec les vieilles recettes et les vieilles illusions, un avenir que nous aurons choisi !

    Hervé Juvin (Blog d'Hervé Juvin, 18 février 2019)

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  • Plus un geste, vous êtes démasqués !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur Huyghe.fr et consacré à la vision complotiste développé par le président de la République pour expliquer ses déboires avec l'opinion (affaire Benalla, Gilets jaunes,...). Spécialiste de la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe enseigne à la Sorbonne et est l'auteur de nombreux essais sur le sujet. Avec Xavier Desmaison et Damien Liccia, François-Bernard Huyghe vient de publier Dans la tête des Gilets jaunes (VA Press, 2019).

     

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    Le Président contre le complot

    Au moment où Mr Nunez déclare que la loi anti-casseurs est destinée à lutter contre les adorateurs de Vichy, le président de la République livre sa version du complot extrémiste des Gilets jaunes

    La thèse se développe ainsi :

    -Il y a « 40 ou 50.000 ultra violents qui veulent abattre les institutions ». Plus que de policers dans les manifs ?
    - Le boxeur emprisonné a été manipulé : « Le boxeur, la vidéo qu'il fait avant de se rendre, il a été briefé par un avocat d'extrême gauche. Ça se voit ! Le type, il n'a pas les mots d'un Gitan. Il n'a pas les mots d'un boxeur gitan.». On notera au passage que le Président sait comment doit s’exprimer un boxeur ou un gitan, individus congénitalement incapables de produire des phrases articulées, et comment s’exprime un baveux bolchevik.

    - Le macronisme est déplorablement inapte à la communication « La communication officielle ou celle de tous les mouvements traditionnels, elle est très peu active, très peu relayée.... Regardez, à partir de décembre, les mouvements sur Internet, ce n’est plus BFM qui est en tête, c’est Russia Today » On les plaint : mais faut-il expliquer ce phénomène par le fait que ce sont les extrêmes manipulateurs qui se font entendre ou par le fait que leur message pro Gilets jaunes convient davantage à une opinion pro Gilets jaunes. La communication, Monsieur le Président, dépend un tout petit peu du récepteur et de son interprétation. La théorie de la seringue hypodermique (celui qui est émetteur fait rentrer ce qu’il veut dans le cerveau du récepteur) est abandonnée en sciences sociales depuis les années 50.

    - « La déconstruction de ce qu’est le mouvement, de ses influences, la déconstruction de ses influences extérieures, ça on l’a très peu entendu. » Mon Dieu, où sont passés les intellectuels - qui devraient naturellement dénoncer et analyser cet horrible complot - ? On ne m’avait pas fait le coup de la déconstruction depuis que j’ai quitté la fac!

    - « Les structures autoritaires nous regardent en se marrant »En effet, notre naïveté est confondante : c’est bête d’être trop honnête comme cela ! Infiltrés partout. Il nous faudrait un bon équivalent contemporain de Joseph Mccarthy pour dresser des listes.

    - Ce mouvement est artificiel « Dans l’affaire Benalla, comme Gilets jaunes, la fachosphère, la gauchosphère et la russosphère représentent plus de 90% du mouvement sur Internet ». Notons d’abord que cette ultra-puissance des bots et des manipulateurs pour faire monter l’indignation ou la reprise de thèmes sur les réseaux sociaux est une légende dont la fausseté a été démontrée. Pour l’affaire Benalla par une étude de D. Liccia démontant la légende de bots faisant artificiellement monter la passion pour le scandale. Quant à d’éventuelles interférences dans la montée des Gilets, nous renvoyons à notre livre Dans la tête des gilets jaunes Affirmation purement arbitraire et recours à la causalité diabolique pour expliquer des phénomènes qui vous échappent (mais pourquoi diable les gens sont-ils choqués par l’affaire Benalla et sont-ils pro Gilets jaunes, alors que moi qui suis si intelligent je pense le contraire ?). Ceci, sans nier le fait évident que les gens réputés pro Russes ou anti-système ont beaucoup plus tendance à refléter ce genre de contenu que des pro-Atlantistes convaincus ou l’électorat des quartiers qui votent Macron à près de 90%.

    Tout serait donc manipulation et subversion, car sinon, pourquoi les gens protesteraient-ils? On voit bien ici s’énoncer une thèse que nous avons appelée « méta-complotiste » : les classes dirigeantes, les libéraux et les élites en général, ont tendance à ne pas comprendre que l’on puisse penser autrement qu’elles, donc elles ne peuvent pas expliquer l’opposition autrement que par la bêtise (les gens ne sont pas assez raisonnables), par la manipulation (ce sont des Russes ou des gauchos qui agissent dans l’ombre sur ces pauvres naïfs) ou par un défaut intrinsèque des médias sociaux (faciles à détourner pour un usage subversif, confirmant volontiers les opinions des analphabètes abreuvés de fake news. Bref le complotisme anti-gouvernemental des déplorables serait un complot notamment étranger. Agissant, sur le faibles, les fragiles, les frustrés. Pas les gens comme nous, quoi !

    Le seul point sur lequel on accordera l’indulgence au Président, c’est lorsqu’il remarque que les médias traditionnels ont perdu leur pouvoir de sélection, de hiérarchie et d’éditorialisation. Mais le Président n’est convaincant que lorsqu’il cesse de parler de lui. Donc rarement.

    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 1er février 2019)

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  • Quand Paris et Berlin se placent sous protection américaine...

    Nous reprodusisns ci-dessous un point de vue d'Hadrien Desuin, cueilli sur Figaro Vox et consacré au Traité d'Aix-la-Chapelle signé par Emmanuel Macron et Angela Merkel. Spécialiste des questions internationales, Hadrien Desuin est l'auteur de La France atlantiste (Cerf, 2017).

     

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    Traité d'Aix-la-Chapelle : «Paris et Berlin se placent sous protection américaine»

    Le titre d'Empereur du Saint Empire romain germanique, reçu à Aix-la-Chapelle pendant des siècles, fut aussi prestigieux que symbolique. Quand Napoléon y mit fin, on disait qu'il n'était ni saint, ni romain ni germanique. C'était un Empire honoraire dont le morcellement garantissait la sécurité de la France.

    De même, le traité d'Aix-la-Chapelle signé ce mardi 22 janvier 2019 par Emmanuel Macron et Angela Merkel aurait pu apparaître comme le couronnement de la fusion franco-allemande tant désirée par Paris. Allait-on ressusciter l'empire carolingien là où Charlemagne unît les peuples d'Europe occidentale il y a plus de 1200 ans, à la jonction des mondes latin et germanique?

    Déjà en 1963, après le refus des États Unis de former un directoire occidental (P3) avec la France et le Royaume-Uni, le général de Gaulle voulut détacher l'Allemagne de l'OTAN pour la ramener à elle et sortir ensemble de l'orbite américaine. Avec la bombe nucléaire française, il s'agissait de traduire diplomatiquement ce nouveau statut militaire et d'en finir avec les seconds rôles joués sous la IVe République. Comme chacun sait, Konrad Adenauer accepta de signer le traité, à l'Élysée, mais le parlement de la RFA neutralisa cette alliance en précisant qu'elle ne pouvait se substituer à l'OTAN.

    Le Bundestag ajouta un préambule qui assurait sa fidélité à son véritable vainqueur et mentor: Washington. Aix-la-Chapelle est certes la capitale de Charlemagne mais c'est aussi la première ville conquise par l'armée américaine en 1944. Les Allemands ne l'ont pas oublié.

    Dans ce nouveau traité où le symbolique l'emporte sur le stratégique, l'allégeance à l'OTAN est cette fois-ci directement inscrite dans le texte. Il n'y aura plus besoin de préambule et tous les efforts pour bâtir une défense européenne resteront superflus: la très hypothétique armée européenne sera toujours commandée par un général américain depuis son quartier général de Mons en Belgique. Le Bundestag pourra signer les yeux fermés.

    Ce statu quo stratégique fait écho au statu quo budgétaire. L'Allemagne a déjà refusé de rééquilibrer sa balance commerciale excédentaire en faveur de ses partenaires. Mais pourquoi s'incliner alors que, depuis 2009, la France s'est rangée d'elle-même dans l'OTAN?

    Le reste des dispositions prévues est donc un simple rappel de ce qui existe déjà en termes d'échanges franco-allemands: promotion du bilinguisme, eurorégion, coopération militaire et industrielle, soutien à l'Allemagne au conseil de sécurité de l'ONU... La seule nouveauté est l'assemblée et le conseil de défense franco-allemand. Des outils de dialogue non inintéressants mais très formels. Les articles qui prévoient plus d'intégrations politique et culturelle de part et d'autre de la frontière cachent péniblement la banalité d'un traité qui se voulait initialement le premier étage de la grande fusée fédérale européenne esquissée par le Président à la Sorbonne en septembre 2017. Le deuxième étage aurait dû être la constituante européenne à Strasbourg en mai prochain. Au final, on en reste au très modeste malentendu de 1963. Pas de quoi rivaliser avec l'arrogance de Trump.

    Cela fait plus de cinquante ans que l'Allemagne joue à la future mariée du couple franco-allemand, théorique moteur de l'Union européenne. Mais Berlin laisse le soupirant français lui conter fleurette tout en repoussant l'échéance. La réunification et la fin de la guerre froide en 1990 lui ont donné le premier rôle économique sur le continent. Quant à la guerre, elle ne veut plus en entendre parler sauf pour vendre du matériel. Son tuteur américain ne veut pas de ce mariage français. Et la promise allemande a peur d'une union aussi inégale.

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    Vue d'Allemagne, la réconciliation franco-allemande est un simple rituel mémoriel qui vise à se faire pardonner les deux dernières guerres mondiales. Voilà pourquoi Berlin multiplie les gestes d'amitié avec Paris qui rêve toujours de grandeur. Mais passer de l'amitié à l'amour est périlleux. Tandis qu'on palabre entre voisins, l'argent reste à Francfort et le commandement militaire reste à Washington. Avec le vieil ami de Paris, on se remémore la légende de Charlemagne, histoire d'oublier que c'est toujours Donald Trump qui tient les rênes.

    Hadrien Desuin (Figaro Vox, 22 janvier 2019)

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